Regardons de plus près et tout d’abord un peu d’histoire.
Au 19 siècle l’agriculture française débute sa phase de transition. L’utilisation des engrais, la sélection des semences, l’introduction de nouvelles cultures fournissent les bases d’un développement agricole qui va prendre un siècle. Il faudra attendre l’après-guerre et le plan Marshall pour voir l’agriculture française se moderniser, et rattraper son retard par rapport aux autres secteurs économiques tout en intégrant les mêmes principes de fonctionnement. Le recours aux emprunts bonifiés par l’Etat va offrir l’accès à des équipements de plus en plus techniques et indispensables pour répondre à la demande d’un marché alimentaire qui est passé d’un niveau français à international. Le tout soutenu par l’Europe qui a posé les bases de l’autosuffisance alimentaire et du subventionnement de son agriculture dès la première politique agricole commune (PAC) en 1962.
Du côté de la formation agricole, celle-ci est rattachée au ministre de l’Agriculture. Portée par les EPLEFPA (Etablissement Public Local d’Enseignement et de Formation Professionnelle Agricoles), elle va contribuer au développement de l’agriculture au travers un mode de production appelé maintenant « conventionnel ». Les futurs agriculteurs sensibles à faire perdurer l’exploitation familiale vont intégrer peu à peu les nouvelles technologies apprises en cours d’agronomie et d’économie gestion. La rentabilité et l’efficience sont devenus les maîtres mots dans l’écriture des référentiels professionnels et pédagogiques de diplômes de l’enseignement agricole. Un enseignement où les professionnels tiennent à leurs places, le président du conseil d’administration d’un EPLEFPA étant très souvent un agriculteur membre d’un syndicat agricole dominant.
Dans ce paysage qui a longtemps perduré chacun a fait son nid et a pu prospérer sans souffrir des aléas climatiques de faibles ampleurs, des changements de consommation peu marqués, des prix acceptés par les producteurs et les consommateurs.
Nous constatons que depuis plusieurs années les conditions d’exercice de l’agriculture ont changé : bouleversement climatiques, planétarisation de l’économie. La globalisation impacte tous les produits qu’ils soient manufacturés ou agricoles. La France est face à des pays où les coûts sont moins élevés et où le travail est moins rémunéré. La main d’œuvre salariée dans l’agriculture est au même niveau salarial que pour les autres emplois ouvriers, et se trouve à un niveau supérieur à certains voisins européens ; de ce fait les prix de vente ne permettent pas de couvrir les principales charges de production. La vente se fait à perte à défaut de pourrir sur place comme c’est souvent le cas dans les vergers de la vallée du Rhône.
Aucune réponse politique nationale ou européenne ne semble pouvoir répondre aux attentes des agriculteurs tant la crise est profonde et porte sur l’avenir des exploitations agricoles et de l’indépendance alimentaire. Certes des lois (ex : Egalim) ont tenté de résorber les tensions entre les acteurs de la filière agro-alimentaire pour maintenir une offre de produits à des prix accessibles pour les consommateurs et rémunérateurs pour les producteurs ; mais force est de constater que la crise perdure.
Le développement d’une agriculture biologique, le déploiement de nouvelles cultures demandent une révision du dispositif des aides européennes versées aux agriculteurs qui favorisent largement les grandes exploitations. Cela nécessite également la réelle volonté du ministère de l’agriculture de former les futurs agriculteurs à toutes les techniques pour que chacun puisse faire ses choix professionnels. Introduit en 2014, le module « apprendre à produire autrement » est une bonne initiative mais n’a pas de caractère obligatoire dans les référentiels de formation ; pourtant les expériences dans les EPLEFPA démontrent un intérêt de la part de certains apprenants. Il faut reconnaître que selon les productions et les régions le modèle conventionnel est hyper dominant et les enseignants rencontrent des difficultés à enseigner les autres pratiques plus respectueuses de la biodiversité et de l’environnement.
Pourtant d’autres agricultures sont possibles. Elles pourraient ainsi faire coïncider des exploitations de grandes tailles adaptées à certaines productions, comme les céréales, ou de nouvelles cultures adaptées au climat et répondre à la demande des industriels de l’agroalimentaire en maîtrisant leurs intrants, et des structures de moindre surfaces orientées vers une production locale voire biologique et pourvoyeuse d’emplois et répondant à une consommation plus locale y compris dans la restauration collective.
La future loi d’orientation agricole devrait octroyer à l’enseignement agricole une 6ème mission axée sur le renouvellement des générations et les transitions agroécologiques et climatiques. L’enjeu est double et pourtant les choix faits depuis peu par le ministère de l’agriculture semblent oublier l’adaptation nécessaire de l’agriculture française aux changements climatiques. Le mode de production actuel risque d’être maintenu sans aucune réponse pour la majorité des agriculteurs, les consommateurs et l’environnement. Les dernières décisions vont accentuer le recours aux produits phytosanitaires issus de l’agrochimie et à l’augmentation de la surface des exploitations.
L’enjeu n’est pas seulement agricole, il est aussi sociétal. L’accès à une alimentation saine et de qualité à un prix acceptable pour les consommateurs et les producteurs est un défi majeur en termes de santé, de lutte contre les inégalités, de liens entre les acteurs économiques, et de préservation de l’environnement partagé par toutes et tous.
UNSA Education et ses syndicats de l’enseignement agricole (SEA-UNSA et SNIEAP-UNSA) portent des mandats pour une société plus responsable envers les populations et l’environnement. Les transitions environnementales, économiques et sociétales ont leur place dans le système éducatif qui forment les futurs professionnels de demain et surtout les futurs citoyens.