Le projet de loi d’orientation agricole, impacté par la colère des agriculteurs, doit réaffirmer la place prépondérante de l’enseignement agricole dans la formation et l’accompagnement des futurs actifs du secteur. Sa place doit être centrale pour répondre au double enjeu du renouvellement des générations et de la transition agroécologique.
La crise agricole a révélé la détresse dans laquelle se retrouvent les agriculteurs et éleveurs du pays qui ne parviennent plus, pour certains, à tirer un revenu suffisant de leur activité. Résultat d’un lent et irrémédiable déclassement, cette crise s’est exprimé dans un contexte de recomposition profonde du monde agricole. Le nombre des exploitations a baissé de 75% en quarante ans et il ne pourrait en rester dans 10 ans que moins de 300 000 sur les 400 000 actuelles.
Les réponses apportées dans l’urgence par le gouvernement ont oscillé entre mesures fiscales, mesures de soutien des prix et allégement des charges et des normes. Ces évolutions étaient attendues par plusieurs secteurs agricoles mais n’ont rien réglé au problème de fond, complexe, que connaissent les agriculteurs. En privilégiant le court terme, le gouvernement a tenté de calmer la colère mais retardé d’autant les changements structurels nécessaires pour préserver la biodiversité et faire face au changement climatique. Les réponses techniques bénéficient plus aux grosses exploitations conventionnelles qu’aux petites structures multifonctionnelles pourtant les plus à même de répondre à l’urgence écologique. En somme, l’urgence a favorisé un modèle d’exploitation et d’agriculture dont le développement entre en contradiction avec les priorités fixées par le gouvernement dans le cadre du projet de loi en préparation.
Hérité de l’essor du modèle productiviste et de l’ouverture de l’agriculture sur les marchés mondiaux, les grandes exploitations connaissent aujourd’hui un développement important et sont les seules à augmenter en nombre. Ce type de structures témoigne de l’émergence d’une agriculture de firme reposant sur une concentration des terres et une financiarisation de leurs activités. Le capital, le travail et le foncier se retrouvent séparés dans de multiples structures aboutissant à l’extrême à une agriculture sans agriculteurs. Des fonds d’investissement rachètent les terres des exploitations sans repreneurs et encouragent ainsi la tendance à leur agrandissement. Les terres agricoles deviennent pour eux des actifs alternatifs dont l’exploitation est uniquement dictée par des intérêts spéculatifs. Ce mouvement de concentration représente une menace évidente pour la diversification des cultures, la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations, trois questions pourtant affichées comme prioritaires par le gouvernement.
Ce modèle agro-industriel entre également en contradiction avec les enjeux de la transition agroécologique. Le projet de loi d’orientation agricole doit permettre selon le Haut Conseil pour le climat « de définir un cadre de référence pour l’agriculture bas carbone et adapté au changement climatique » en cohérence avec l’objectif d’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050 pour le secteur alimentaire. Des changements radicaux sont nécessaires. Les agriculteurs eux-mêmes en conviennent, mais quand il s’agit de sa propre survie, la question de la transition agroécologique passe inévitablement au second plan.
Que restera-t-il en définitive de l’ambition écologique du projet de loi ? Bien peu de chose si l’on se réfère au renoncement du gouvernement en la matière. En voulant concilier les différents modèles d’agriculture, le projet de loi risque fort de n’en conforter qu’un seul, le modèle agro-industriel, sans parvenir pour autant à régler les questions centrales que sont les freins à l’installation, l’accès au foncier, la garantie de tirer un revenu décent de son activité et celle des conditions de travail.
La formation et l’enseignement agricole ont ici un rôle prépondérant à jouer que le projet de loi doit réaffirmer. Il doit consacrer la place de l’enseignement agricole dans le parcours d’installation des futurs actifs agricoles : acquisition des compétences initiales et continues centrées sur l’agroécologie, conception du projet, test avant l’exercice du métier. Les enjeux pour l’agriculture sont au moins aussi importants que ceux qui ont présidé à la structuration de l’enseignement agricole contemporain par Edgar Pisani dans les années 1960. Il s’agissait alors de moderniser l’agriculture dans une logique de hausse de la productivité tout en répondant aux attentes d’éducation de la population rurale. Le projet était bien à la fois politique, professionnel et social. Sa cohérence a montré son efficacité, l’agriculture ayant largement réussi sa modernisation et l’augmentation des rendements, au détriment de la question écologique et de la soutenabilité du modèle. Le développement des CFPPA avait alors permis de concrétiser le lien avec la profession et de légitimer l’enseignement tout en le mettant en cohérence avec les besoins des professionnels. Aujourd’hui ces centres constitutifs gardent toute leur pertinence et sont indéniablement un atout pour répondre à l’urgence. Le maillage territorial des EPL et leurs exploitations agricoles sont également des forces héritées des années 60 sur lesquelles il faut s’appuyer. L’outil est là, reste à le préserver et à l’utiliser dans sa pleine mesure. En ce sens, les décisions récentes de coupes budgétaires pour le MASA ne sont évidemment pas un bon signal. Sans assise budgétaire solide, un projet de loi, tout ambitieux qu’il soit, n’aboutira pas.